Romanian Love Charms
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Passer d'un Corpus à une Base de Données

Sanda Golopentia, Brown University

[Paper delivered at CNRS, Forum de la Fédération Typologie et Universaux Linguistiques–Bases de données, Paris, France, 21 October 2003]

La présentation qui suit vise à illuminer certains des aspects par où l'articulation pragmatique entre le corpus considéré et la forme de la base de données par le biais de laquelle nous essayons de rendre ce corpus multiplement manipulable est une opération indispensable dans laquelle les spécialistes en linguistique, ethnolinguistique, sémiologie de la culture, anthropologie ou sociologie ont leur mot à dire. Je présenterai dans ce qui suit l'expérience acquise dans le développement d'une base de données à partir des incantations amoureuses roumaines.

Le corpus des incantations amoureuses roumaines

Les chercheurs qui s'intéressent aux incantations disposent, dans la culture roumaine, à partir du XVIIIe siècle, d'un nombre impressionnant de documents d'archives, de recueils et d'études. Depuis les années 1920, des enquêtes professionnelles effectuées par des sociologues, folkloristes et linguistes, ont mis à leur disposition une riche moisson de transcriptions phonétiques et de matériaux recueillis à l'aide de questionnaires détaillés, souvent dans le cadre d'équipes pluridisciplinaires. Les travaux des historiens ainsi que des témoignages divers complètent le tableau, dans une culture qui n'a pas connu la rupture culture populaire/haute culture avec l'intensité et selon les formes que celle-ci a prise en France.

Les incantations amoureuses ont fait cependant rarement l'objet d'études spéciales. Elles sont présentées d'habitude sous forme de sous-chapitre dans le cadre plus large de la médecine populaire1. Constituer un corpus limité aux et centré sur les incantations amoureuses me parait cependant ouvrir des perspectives qu'il vaut la peine d'explorer pour des raisons multiples, que j'ai présentée ailleurs. Rapidement évoquées, celles-ci sont les suivantes:

Le corpus des incantations roumaines ne contient que très rarement et toujours approximativement les formules et les procédures magiques telles qu'elles ont été récitées/accomplies dans une session magique authentique6. C'est un corpus décalé, vu que la session magique exclut les spectateurs non-impliqués. Il consiste, non pas en incantations actualisées par le biais de formules directives (explicites ou implicites) et d'actes magiques concrets s'exerçant sur des substances, à l'aide d'instruments, à des moments et dans des espaces magiquement adéquats mais en récits, voire descriptions ou commentaires portant sur des incantations dont des témoins divers mentionnent les formules et racontent ou décrivent la procédure au hasard des rencontres avec les chercheurs, dans des cadres spatio-temporels démunis de valeurs symboliques de renforcement. J'ai appelé ces récits, descriptions et commentaires scénarios magiques lorsqu'ils sont transmis aux chercheurs, à leur requête, par des incantatrices actives et reconnues en tant qu'experts magiques dans la communauté. D'une manière idéale, les scénarios incantatoires combinent la mention des diverses formules de l'incantation avec la description commentée des actes physiques non-verbaux et des règles gouvernant le mélange de la parole magique avec les substances qui, une fois "enchantées", pouront agir efficacement sur le patient. Leur clarté et leur complétude dépendent de la complexité intrinsèque de la pratique, des capacités expressives du témoin, du degré d'empathie et d'intensité qu'imprime au dialogue le chercheur et de l'accord dialogique (et plus généralement pragmatique) entre le témoin et le chercheur.

Même si recueillis par des spécialistes - ce qui ne s'est produit qu'à partir de la fin du XIXe siècle - les scénarios incantatoires sont le plus souvent vagues et schématiques7. Ceci s'explique, en premier, par le caractère inhabituel, en fait hautement artificiel, de la rencontre sur le terrain entre le chercheur et ses témoins. Fatigués ou tout bonnement ennuyés par les nombreuses répétitions, de mise dans la performance magique mais encombrantes dans toute autre situation linguistique, ainsi que par les questions insistantes du chercheur, les témoins (a) omettent souvent des parties de la formule dont ils pensent qu'elles pourront être facilement récupérées par un insider et qu'elles ne sont en tout cas pas pertinentes pour des outsiders situationnels et "professionnels"; (b) donnent des indications télégraphiques concernant les procédures non-verbales, qui leur apparaissent comme les composantes "faciles" du scénario et auxquelles, en plus, le texte fait toujours allusion pour qui sait l'entendre; (c) mentionnent les formules et énumèrent les gestes sans toujours spécifier exactement le passage, dans la partition verbale, que le geste est censé accompagner ou, si nous partons de la partition gesturale, le point où la formule, voire certaines de ses parties doivent être prononcées. À ceci pourraient s'ajouter (d) le fait que, le scénario étant "raconté" à un outsider et en situation "profane" plutôt qu'actualisé pour le bénéfice d'un insider et en situation magique, le témoin n'a pas de motivation pour donner une version aussi complète que possible des formules et (e) le fait que le passage de l'actualisation des procédures à leur transposition verbale et énumération ordonnée, souvent effectué pour la première fois (puisque, comme nous le verrons, la pratique incantatoire n'est jamais enseignée explicitement), s'avère difficile même pour les témoins les plus expérimentées.

Une deuxième raison du caractère vague et schématique des scénarios réside dans le caractère partiellement inconscient des pratiques incantatoires et de leur transmission. Dans les communautés traditionnelles roumaines, les scénarios incantatoires sont rarement (et seulement en partie) "pensés" par ceux qui les effectuent. On devient descântătoare ("diseuse d'incantations") par initiation diffuse (en "volant" une formule que l'incantateur professionnel vous "laisse" entendre après avoir tacitement évalué votre acuité et votre vocation magique). On chuchote des incantations tout en distribuant son attention entre les actes magiques qui les accompagnent et l'observation attentive de l'état d'esprit du "patient". Comme les chauffeurs exercés qui ont oublié depuis longtemps les instructions verbales ayant guidé leurs premiers essais de conduire et ne peuvent plus rendre compte de l'ordre dans lequel ils accomplissent certains mouvements, les incantatrices agissent mieux qu'elles n'articulent ou analysent ce qu'elles font.

À cause de cette intériorisation partiellement inconsciente, les scénarios incantatoires tendent à émerger dans la pensée des témoins seulement lorsque des besoins stringents imposent leur actualisation. Comme les noëls, que personne ne se rappelle pendant l'été mais que tout un chacun peut chanter sans faute dans la deuxième partie du mois de décembre, simplement parce que les chanter ou les entendre chantés d'une maison à l'autre est à ce moment imminent, les scénarios incantatoires ne sont pas accessibles à volonté. Leur mémorisation étroitement dépendante du contexte est un effet de leur transmission orale, informelle, traditionnelle. L'importance des questionnaires détaillés réside pour nous, non seulement dans le fait qu'ils rendent possible une étude exhaustive, mais aussi dans le fait qu'y répondre aide le témoin à sortir graduellement du temps quotidien et à se mettre en situation de quasi-disponibilité magique.

Une troisième raison pour le caractère abrupt, de croquis que présentent certains scénarios est due au fait que, dans la plupart des cas et pour des raisons qui varient, les formules aussi bien que les procédures tendent à être secrètes. J'ai mentionné le besoin de protéger l'intimité du bénéficiaire (client). Il y a aussi le besoin pour l'incantatrice de se protéger professionnellement. Divulguer les formules ou les procédures pourrait mener à la perte de son pouvoir magique ou à la disparition de la force magique de l'incantation8. Plus banalement, la divulgation complète et détaillée des scénarios incantatoires risquerait d'accroître le nombre des spécialistes magiques dans la communauté, diminuant en conséquence les chances individuelles d'obtenir du prestige, des avantages matériels et, parfois, les moyens de subsister. Lorsque les incantations en viennent à être interdites ou ridiculisées, le secret de leur actualisation s'impose aussi bien à l'agent qu'au patient, pour des raisons élémentaires de prudence.

À côté des scénarios détaillés par des experts, le corpus incantatoire roumain contient un nombre de performances incantatoires filmées (partiellement "authentiques" cependant, vu qu'on a dû préparer les témoins — l'incantatrice et le "patient" — à être filmés)9 et un grand nombre de récits faits par des non-experts. J'ai édité en 1984 un livre "perdu" de Ștefania Cristescu, Descântece din Cornova Basarabia (récemment paru dans une édition plus ample), pour lequel la sociologue avait décidé de centrer l'analyse sur ce qui, dans le village bessarabien de Cornova était le phénomène le plus caractéristique: l'imaginaire magique des villageois. Même si les fiches et les plans à partir desquels j'ai pu reconstituer l'intention du volume détaillent des scénarios incantatoires, l'accent tombait sur les récits que se faisaient à l'envi les non-experts quant aux faits et méfaits des incantatrices et à l'attitude ambigüe du prêtre local10.

En conclusion, le corpus des incantations amoureuses représente une partie seulement du corpus incantatoire roumain. Il est relativement facile à délimiter et nous le considérons théoriquement révélateur. On peut, en plus, le définir avec une certaine précision, et sa définition est exportable à d'autres corpus amoureux, dans d'autres cultures.

Afin de constituer la base de données RLCD, j'ai simplifié le corpus incantatoire amoureux en tenant compte pour le début:

Reste, comme problème essentiel, le problème de l'unité de base de la RLCD. Dans la plupart des cas, ceux qui développent des bases de données tendent à prendre comme unité de base le texte en bloc, tel qu'il se présente dans les recueils: le poème, la nouvelle, la pièce de théâtre etc. J'ai préféré cependant opérer en définissant comme unités de base chacune des formules et chacune des techniques paraissant dans les 119 scénarios mis en ligne. Ceci multipliait considérablement le nombre des fichiers de la base de données (qui est passé à presque mille), mais permettait de scanner séparément au niveau des formules et des procédures des informations pointues et de prévoir des architectures textuelles beaucoup plus diversifiées que celles dont on dispose à présent. Nous en discuterons dans ce qui suit.

La base de données RLCD

En accord avec le corpus qu'elle met en ligne, la base de données "Romanian Love Charms Database" (RLCD/ Base de données Incantations amoureuses roumaines) est (a) une base de données de dimensions restreintes; (b) centrée sur un domaine clairement délimité de la magie populaire. Nous l'avons (c) conçue au départ comme outil de publication et (d) développée ultérieurement afin de stimuler l'étude des textes vivants (non-autonomes), c'est-à-dire, des textes qui maintiennent une connexion directe avec la biographie de leurs utilisateurs ou sont "en quête" d'utilisateurs et censés être mis en voix, en scène, en spectacle, en acte etc..

RLCD est restreinte vu que, même si, par la suite, nous comptons y incorporer des incantations amoureuses provenant d'autres cultures11, l'inventaire pertinent pour chacune d'entre elles ne dépasserait pas les 3–400 pièces caractéristiques.

C'est une base de données centrée (nous pourrions aussi l'appeler une base de données orientée) dans le sens que, même si elle contiendra un grand nombre de documents qui ne sont pas des incantations amoureuses proprement-dites, ceux-ci auront un statut clairement différent, auxiliaire ou dérivé par rapport à celles-là (qui représentent le noyau dur de la RLCD).

Elle a instrumenté la préparation d'une copie camera-ready du volume Desire Machines. A Romanian Love Charms Database (Bucharest: Editura Fundaţiei Culturale Române, 1988) en rendant possible le contrôle aisé d'un corpus bilingue complexe, en vue de sa mise en forme et de son impression.

C'est une base de données qui s'avère stimuler la recherche dans la mesure où, en soumettant quelques centaines de documents électroniques à un traitement formel rigoureusement homogène, elle rend visibles des relations structurales inattendues, qui n'avaient pas été étudiées auparavant en anthropologie, linguistique, folklore ou sémiotique culturelle et dont l'exploration se recommande pour des raisons théoriques aussi bien que méthodologiques.

La base de données RLCD a été développée en 1987 par Sanda Golopentia, Professor of French Studies à Brown University. Dr. Allen Renear, Directeur du Brown University Scholarly Technology Group à l'époque, a été le consultant technique du projet. Chacune des incantations amoureuses roumaines a été traduite en anglais par une équipe composée de S.G. et Will Robins (Brown Ph.D. en littérature alllemande), Catherine Sama (Brown Ph.D. en littérature italienne) ou Laura D'Angelo. Peg Hausman (Brown Ph.D. en littérature comparée), Robert Austerlitz (professeur de linguistique à Columbia University à l'époque), Marguerite Dorian (écrivaine et traductrice), Blossom Kirschenbaum (Assistante de recherche au Département de Littérature comparée de Brown et traductrice), James Augerot (professeur de linguistique et de roumain à l"université de Washington) et Charles Carlton (professeur de linguistique romane et de roumain à l'Université de Rochester à l'époque)12 ont fonctionné en tant que consultants pour la traduction en anglais et je leur dois à tous des suggestions précieuses.

Tout en consistant pour la plupart en incantations amoureuses déjà publiées en Roumanie, la base de données RLCD inclut dix incantations inédites. C'est le cas des scénarios 28, 30 et 4113 (recueillis par Ștefania Cristescu dans le village de Runcu-Gorj, durant les mois de juin-juillet 1930); des scénarios 29, 34, 35, 36, 55 et 109 (recueillis par Ștefania Cristescu dans le village de Sanţ, Bistriţa-Năsăud, durant l'été 1935); et du scénario 111 (recueilli par Sanda Golopentia dans le village de Breb-Maramureş, durant le mois de juillet 1976).

J'ai reproduit, en la simplifiant par moments afin de la rendre plus généralement abordable, la transcription des textes fournie par les chercheurs (dans leurs carnets d'enquête) ou par les éditeurs des incantations qui ont été publiées.

Structure de la base de données RLCD

Les types de fichiers et leurs noms

La base de données RLCD contient plus de 800 fichiers électroniques qui se répartissent dans quatre catégories:

Type de fichier Langue Nombre de fichiers
roumain anglais artif.
Formule 155 155 310
Technique 128 128 256
Driver de scénario 119 119
Dossier de scénario 119 119

Figure 1: Les fichiers principaux de la RLCD

Les formules (dont la longueur varie de 2 à 221 vers) contiennent des poèmes (incantations en vers) délimité(e)s dans la parole des témoins par des silences antérieurs ou ultérieurs, des techniques, des commentaires du témoin ou les questions du chercheur. Chaque formule originale roumaine a comme correspondant dérivé une traduction en anglais, vers par vers. Vu le fait que les formules sont utilisées un peu comme nous le faisons avec les formulaires de l'administration moderne et que la récitante (l'incantatrice) adapte sur-le-champ le "squelette" d'une incantation au sexe, aux besoins et, en général à la personnalité du client ou de la cliente, elles contiennent souvent la variable lexicale cutare "tel ou tel" (à remplacer par le prénom du bénéficiaire de la session magique) et donnent le choix entre l'ajout d'attributs masculins ou féminins (consistant en composantes caractéristiques du costume, telles le fichu ou le chapeau, la jupe ou le pantalon) pour le/la protagoniste qui représente le client dans le texte.

Les techniques ont une longueur comprise entre un énoncé et des textes de trois pages. Elles contiennent des indications, voire des commentaires en prose donnés par les témoins ou des commentaires du chercheur concernant la composante non-verbale de l'acte magique. Les commentaires du chercheur sont reproduits entre crochets. Dans le scénario 54, les techniques, remarquablements amples, ont été extraites d'un article publié par Ștefania Cristescu14 sur l'incantation spéciale qu'elle avait recueillie. Comme les formules, les techniques sont délimitées dans la parole des témoins, par des silences antérieurs/ultérieurs, d'autres commentaires, la récitation ou la mention des formules, voire par les questions du chercheur. Les techniques roumaines ont été également traduites en anglais, phrase par phrase, dans le cadre de documents dérivés.

En reproduisant, chaque fois que ceci est possible, les coupures effectuées par le témoin lorsqu'il a détaillé la structure d'un scénario au bénéfice du chercheur, il est clair que, aussi bien dans le cas des formules que dans celui des techniques, nous risquons d'opérer avec des documents qui sont ou bien trop courts (c'est-à-dire, avec des formules excessivement morcelées parce que le témoin a senti le besoin de spécifier les gestes qui accompagnent chacune de leurs séquences) et avec des techniques dont la description a été improprement interrompue afin d'insérer les mots d'accompagnement requis pour chaque geste), ou bien trop longs (c'est-à-dire, avec des formules ou des techniques distinctes qui ont été amalgamées dans un même texte parce que le témoin n'a simplement pas signalé la fin de l'un et le début de l'autre). Une analyse attentive des formules et des techniques est donc requise afin de convertir la segmentation "naturelle" du témoin en segmentation formellement légitime du point de vue du chercheur.

Les drivers de scénarios et les dossiers de scénarios sont des fichierss électroniques non-textuels:

Les drivers de scénarios sont devenus nécessaires dans la base de données RLCD à cause de notre décision d'assigner le statut de document électronique individuel à chacune des portions délimitées dans les réponses des témoins par le passage du vers (de la formule) à la prose (aux indications magiques) et inversement. Ils contiennent la liste ordonnée des commandes par lesquelles on "convoque" les formules et les techniques dont les contenus ont été présentés par le témoin comme faisant partie de la même performance magique. Et ils respectent l'ordre dans lequel les témoins ont présenté les composantes du scénario magique durant l'interview d'enquête.

Les dossiers de scénario sont des listes ordonnées d'informations factuelles, bibliographiques et structurales qui ont été considérées utiles pour la lecture par des outsiders ou pour des recherches spécialisées à venir. La plupart des informations factuelles est imputable au témoin et à l'enquêteur initial. L'information structurale a été extraite à partir des formules, des techniques et des conversations d'enquête et sera discutée plus tard. Par rapport à l'ordre naturel (d'énonciation) caractéristique à l'architecture interne des scénarios, la mise en succession des informations dans les dossiers de scénario est purement conventionnelle.

Mis à part les types principaux de fichiers énumérés ci-dessus, la base de données RLCD contient également un nombres de fichiers associés. Il s'agit de:

Pour faciliter l'identification et l'utilisation des documents (fichiers) électroniques, nous avons opté pour les conventions de nomination qui suivent:

Considérons par exemple le nom CH007V2E. Il indique que le fichier ainsi nommé:

Nous pouvons aussi inférer, à partir du nom ci-dessus, que le fichier ainsi nommé:

De même, le nom CH115S renvoie à un fichier qui:

Les étiquettes de marquage (markup tags)

Les données de base de RLCD — les formules et les techniques incantatoires — sont textuelles. Ce type de données, extrêmement complexes, ne saurait être représenté simplement à l'aide des techniques relationnelles habituelles dont on dispose pour les bases de données. L'approche utilisée pour représenter ces données dans le RLCD est celle d'un langage spécialisé de marquage, The Standard Generalized Markup Language, ou SGML (ISO8879)17.

Les étiquettes de marquage sont utilisées afin d'identifier rigoureusement les différentes composantes textuelles des documents et d'établir leurs structures respectives. Les principales étiquettes de marquage utilisées dans la base de données RLCD sont les suivantes:

La formule CH011VR a été donc introduite dans la base de données RLCD sous la forme suivante:

.rverse

.line Soare, soare, frăţioare.eline

.line ochii miei de mierloşiţă.eline

.line limba mea de brânduşiţă.eline

.line limba mea de glas de cuc..eline

.line.eline18

.line Soare, soare frăţioare.eline

.line nu răsări pe munţi, pe codri.eline

.line pe curţi zugrăvite.eline

.line pe movili clădite.eline

.line răsai pe statul meu.eline

.line şi fă frumos trupul meu.eline

.line să vadă, să ştie lumea şi norodul..eline

.line.eline

.line Să stai în gura mea.eline

.line cum stă lumea şi ascultă cucul.eline

.line când cântă în mijlocul codrului.eline

.line şi telegarii în fundul grajdului..eline

.erverse

La traduction en français de la formule19 est:

Soleil, soleil, ô frère

mes yeux, les yeux des merlettes

ma langue, celle des clochettes

ma langue au chant de coucou.


Soleil, soleil, ô frère

ne te lève sur les sommets ou les forêts

sur les enceintes peintes

sur les collines aux maisons

mais te lève sur ma contenance

et rends beau mon corps.


Reste près de ma bouche

comme ceux qui écoutent le coucou

lorsqu'il chante au milieu du bois

et [comme]les coursiers, au fond de l'écurie, [qui dressent l'oreille].

À l'exception de '.line, .eline' qui fonctionne en tant que délimitateur interne par rapport aux formules incantatoires, les étiquettes de marquage énumérées ci-dessus fonctionnent en tant que délimitateurs externes pour chaque formule ou technique incantatoire originale ou traduite. Les délimitateurs externes sont nécessaires pour combiner dans des scénarios spécifiques les documents qu'on doit pouvoir distinguer entre eux et récupérer en tant que tels aussi bien pour des raisons d'impression que pour des raisons de recherche. Par rapport au scénario englobant, les étiquettes '.rverse, .erverse', '.rtech, .ertech', '.everse, .eeverse' et '.etech, eetech' fonctionnent comme des délimitateurs internes de rang supérieur à '.line, .eline'.

Malgré le fait que les informations contenues dans les dossiers de scénario auraient pu être manipulées à l'aide de logiciels relationnels spécialisés (relational database software) plutôt qu'avec des étiquettes de marquage, il aurait été peu pratique de développer une base de données à support technique différent et de l'intégrer ensuite dans l'ensemble de la RLCD. Par conséquent, nous avons eu recours à des étiquettes de marquage aussi pour l'organisation des dossiers de scénario. Elles seront présentées dans le sous-chapitre Les dossiers de scénarios.

Les drivers de scénarios

Par l'introduction des drivers de scénario, nous rendons compte de la double articulation du corpus incantatoire en ajoutant à une première articulation (en formules et techniques) une deuxième articulation (en scénarios).

Un driver de scénario invoque (ou convoque), dans l'ordre où ils paraissent dans la performance incantatoire originale, les fichiers textuels qui lui appartiennent. Le driver de scénario CH070SR consiste, par exemple, en une succession de commandes qui amènent sur l'écran (sur le papier) les composantes textuelles du scénario roumain 70:

.im CH070TR1

.im CH070VR1

.im CH070TR2

.im CH070VR2

.im CH070TR3

Le scénario anglais CH070SE sera, par contre, constitué pas la succession de comandes (le driver) qui suit:

.im CH070TE1

.im CH070VE1

.im CH070TE2

.im CH070VE2

.im CH070TE3

Si nous prenons en considération le cas, plus complexe, où une transformation supplémentaire de redoublement (mise en miroir, voire en écho) des documents par traduction aboutit à faire suivre chacun des documents originaux de type VR ou TR dans le scénario par son correspondant anglais VE ou TE, le driver CH070SRE deviendra:

.im CH070TR1

.im CH070TE1

.im CH070VR1

.im CH070VE1

.im CH070TR2

.im CH070TE2

.im CH070VR2

.im CH070VE2

Des applications de recherche ultérieures pourront considérer la supplémentation de l'ensemble de scénarios incantatoires attestés par des scénarios possibles générés par l'ordinateur.

47 des 119 scénarios inclus dans la base de données RLCD consistent en une formule seulement. Malgré le fait que nous n'excluons pas l'existence possible de scénarios incantatoires ainsi limités, ceux-ci sont rarement ce que rencontrent sur le terrain roumain les anthropologues et les linguistes. Dans la plupart des cas, l'absence d'indications concernant les actions non-verbales censées accompagner la formule incantatoire est due au fait que les incantations ont été recueillies par des chercheurs dont le cadre général de référence était représenté par la littérature (populaire ou savante, orale ou écrite) et qui, de ce fait, étaient accoutumés à considérer les textes en tant que structures autonomes. Ceci signifie que, chaque fois qu'on rencontre un scénario incantatoire élémentaire limité à une formule, sans aucune spécification quant à la nature des actes physiques qui accompagnent la formule dans la performance complète, on devrait d'abord essayer de voir si la formule incantatoire ne contient pas des indices renvoyant à des procédures non-verbales possibles et confronter ensuite de tels éléments hypothétiques avec des scénarios incantatoires complexes à fonction similaire. De même, on devra se demander, dans le cas des scénarios élémentaires limités à des techniques (plutôt rares dans les recueils roumains) si celles-ci ne s'associent pas régulièrement dans la culture respective avec certaines formules incantatoires.

Ce faisant, on agirait d'une manière parfaitement comparable à celle du metteur en scène qui s'efforce de reconstruire les indications scéniques (les didascalies) manquantes dans une pièce ancienne à partir de l'examen des répliques et de la comparaison du texte avec d'autres pièces écrites par le même auteur. Ou à ce que nous faisons dans la vie de tous les jours, lorsque nous essayons d'imaginer le mode d'emploi d'un nouveau produit (que n'accompagnent pas des instructions à cet effet) en l'examinant et en le comparant à des produits similaires qui nous sont familiers.

Pour comprendre la façon dont les formules suggèrent parfois les procédures censées les accompagner, prenons comme exemple l'incantation suivante, "pour la danse". Il s'agit d'une ancienne incantation rituelle, qu'on pratiquait au bénéfice de toute jeune fille allant pour la première fois à la hora (et donc, se proclamant apte au mariage), dont la fonction est ensuite devenue d'assurer la beauté prestigieuse de n'importe quel client à la hora dominicale)20. Son scénario consiste en une technique vague et un texte énigmatique:

Cette incantation, tu la dis quand tu vas à la hora. Tu te laves, tu y vas propre, avec du basilic.

Toi, griotte fleurie

descendue de la montagne

la tête enveloppée avec une tête de coucou

quand tu parles

tu tailles dans du taffetas.

Quand tu as ri

tu as rompu (frânt) des ponts

et tu as étendu du miel.

La question qui se pose, lorsqu'on lit cette incantation, est celle du rapport entre ce qui, dans la formule, est redevable à la seule rhétorique et ce qui pourrait renvoyer concrètement à la visée et à la procédure magiques accompagnant la récitation du texte. La comparaison avec d'autres incantations montre que "la griotte fleurie descendue de la montagne" et "tailler dans du taffetas" sont des topoi caractéristiques des incantations "pour la beauté et l'amour", qui signifient respectivement: "haute visibilité" (la jeune fille sera tout aussi visible pendant la danse que les griottiers qui poussent haut dans la montagne le sont lorsqu'ils fleurissent au printemps, pour les villageois d'en bas21) et "parole prestigieuse" (la parole du bénéficiaire de l'incantation sera aussi importante dans ses conséquences qu'est l'acte de tailler un riche habit dans du taffetas). Ces topoi renvoient vers la Moldavie et la Bessarabie comme aires de circulation caractéristiques. Ils signalent, on pourrait dire, la niche pragmatique de l'incantation qui les contient: incantation pour la beauté et l'amour courante en Moldavie/Bessarabie. Mise à part leur nature de topoi rhétoriques régionaux, les deux métaphores peuvent être interprétées aussi en tant qu'indications modales qui "guident" l'action magique en en illustrant le résultat idéal.

D'autre part, étendre du miel pourrait être magiquement allusif, en rappelant à la récitante de l'incantation que la formule est à dire pendant qu'on mélange l'eau (qui est mentionnée explicitement dans la technique) et le miel. Il est clair, de même, à partir d'autres scénarios "pour la beauté et l'amour" de RLCD que les incantations dans lesquelles la beauté à atteindre est celle de la griotte fleurie22 sont accomplies d'habitude en se servant d'un brin de basilic en tant qu'instrument magique pour remuer de l'eau en la mélangeant avec du miel. Comme dans toutes les incantations de ce type, le geste de remuer fonctionne en tant que métaphore actionnelle pour l'incorporation des explications (contenues dans la formule) au miel (et à l'eau) qui, après avoir été ainsi magiquement "informés", pourront être utilisés de façon externe ou interne par la jeune fille: elle se lavera le visage avec ou boira "l'eau enchantée" (apa descântată) avant d'aller danser. Et elle portera sur elle le brin de basilic.

Le noyau dur magique de la formule est contenu dans le vers "enveloppée, voilée avec une tête de coucou". Tout en apparaissant probablement comme un trait surréaliste aux outsiders, ce vers semble faire allusion à la pratique de couper la tête d'un coucou et de la porter sur soi en secret (ou de la cuisiner et manger) afin d'acquérir ce qu'on pourrait appeler la prééminence phonique, c'est-à-dire, afin de s'assurer un large auditoire et d'être écoutée avec trépidation comme le sont les coucous par tout le monde lorsqu'ils chantent au printemps. L'arrière-plan mythologique de cette coutûme nous aide à comprendre que, du point de vue de l'insider, l'incantation que nous discutons est moins innocente qu'elle ne le semble au premier abord, vu que le coucou est un oiseau "saint"23 dont on croit qu'il chante d'abord aux portes du paradis. Il chante ensuite sur terre depuis le jour de l'Annonciation (le 25 mars) et jusqu'au 1er ou 24 juin (à la Saint-Jean), quand chacun l'écoute en comptant anxieusement ses appels afin d'apprendre le nombre d'années qui lui restent à vivre. On dit que les coucous perdent leur voix lorsqu'ils mangent des cerises (ou entendent la faux) et qu'ils se transforment par la suite en faucons ou en aigles. Tuer, voire manger un coucou — et c'est ici qu'apparaît le côté sombre de notre incantation, même si, au lieu de la tête, décidément encombrante, d'un coucou, la jeune fille cache dans le tissu brodé (le ştergar) dont elle entoure sa tête un remplaçant conventionnel de celle-ci ou, tout simplement, sa "marque" magique — était considéré comme un péché qu'on devait confesser au prêtre et pour lequel il fallait faire pénitence.

La morale électronique de cette histoire consiste peut-être en ce qu'il nous faudrait définir un nouveau type de fichier, que l'on pourrait appeler technique possible et marquer par *T. Une technique possible CH019*T correspondrait, conformément à ce qui a été dit, au texte suivant:

*[Préparation:

(a) on porte sur soi une tête de coucou ou sa marque magique;

(b) on puise de l'eau à la fontaine/rivière en conformité avec des règles plus ou moins strictes;

(c) on prend un brin de basilic.

Effectuation:

Des 72 scénarios complexes qui restent, les plus compliqués (en nombre de 5 et comprenant chacun 7, 13 ou 19 composantes) semblent dûs à la fusion, par les chercheurs, dans d'amples super-scénarios, des scénarios incantatoires qui s'enchaînent dans des séquences (c'est-à-dire, des scénarios incantatoires qui, même si accomplis à des moments différents, le sont au nom d'un même client et en réponse au même besoin, voire au même problème amoureux). Restent 67 scénarios d'une complexité normale de 3 à 6 composantes, que nous pouvons considérer représentatifs. Nous les présentons dans la Figure 2.

Structure du scénario nombre de composantes du scénario nombre de fichiers composants nombre de scénarios
V(R,E) 1 2 47
V(R,E)-T(R,E) 2 4 34
T(R,E)-V(R,E) 2 4 6
V1-T-V2 3 6 5
T1-V-T2 3 6 13
V1ùT1ùV2ùT2 4 8 2
T1-V1-T2-V2-T3 5 10 7
T1-V1…-T3-V3-T4 7 14 2
T1-V1…-T7 13 26 2
T1-V1…-T10 19 38 1
TOTAL 119

Figure 2: Types de scénarios incantatoires

Les dossiers de scénarios

En contraste avec les documents électroniques homogènes V, T et les drivers S discutés jusqu'ici, les dossiers de scénario sont des fichiers hétérogènes qui permettent de situer les scénarios incantatoires dans un cadre social et culturel plus large et de combiner:

Les étiquettes de marquage utilisées pour délimiter ces différents types d'informations et pour rendre visible l'ordre dans lequel elles figurent dans le dossier de scénario sont les suivantes:

Applications

Notre travail sur la base de données RLCD a des applications visant l'impression, la recherche et l'extension à d'autres corpus.

Dans sa forme actuelle notre base de données permet de choisir entre un grand nombre de formats d'impression. On peut opter pour:

À un niveau plus profond (l'organisation du volume-corpus en vue de son impression, voire d'une typologie), la base de données RLCD illumine un nombre important d'alternatives de publication/de typologisation des incantations amoureuses en tenant compte des informations structurales figurant dans les dossiers. Ainsi, dans le volume Desire Machines, nous avons choisi d'ordonner les incantations conformément à leur fonction pragmatique. Ceci a abouti aux chapitres suivants:

- Pour la beauté et l'amour

- Pour "jeter" la haine sur X (que vous connaissez et qui n'est pas le client)

- Contre la haine qu'on a "jetée" sur le client

- Sorts pour voir en rêve/faire venir en réalité l'époux (l'épouse) prédestiné(e), le "lot" du client

- Pour "défaire" les sorts (si vous êtes, non pas le bénéficiaire, mais celui ciblé en tant que "lot" inconnu du bénéficiaire)

- Pour faire que X vous aime

- Pour faire que X haïsse Y (votre rival)

- Pour voir en rêve/ faire venir en réalité l'individu X

- Pour le mariage du client

- Pour la soumission de X

- Pour "lier" ou "délier" le désir de X

Il est clair, en fait, que le système qui régit la performance des incantations amoureuses roumaines peut être réduit à une tension centrale idéale entre un faire et un défaire symétriques:

A. Faire
a. pour l'amour
b. pour connaître le sort (le "lot", l'époux prédestiné)
c. pour jeter la haine sur X
B. Défaire
a. contre l'amour de X pour quelqu'un d'autre que vous
b. contre le sort qu'on vous a jeté (votre traitement en tant que "lot")
c. contre la haine qu'on a jetée sur vous

et à un métadialogue magique dans lequel les rôles privilégiés sont les rôles réactifs (on répond à une incantation par une contre-incantation et ainsi, puisqu'on se défend, on ne saurait être accusé ou condamné pour des initiatives magiques répréhensibles.

On peut ajouter à A-B, (C) l'opposition entre (dé)faire absolu et relatif, en d'autres termes, l'opposition entre dire des incantations pour la beauté et l'amour, pour (contre) la haine, pour voir/rencontrer son lot (dont on ignore l'identité), pour défaire le sort etc. et faire des incantations pour qu'une personne X (que vous connaissez) vous aime, vienne vers vous, désire en accord avec votre désir ou en vienne à haïr votre rival(e). Ensemble, A–C sont définitoires pour la typologie centrée sur le sujet magique que nous avons adoptée dans le volume Desire Machines. Cependant, un grand nombre de typologies alternatives des incantations amoureuses sont rendues possibles par la base de données RLCD.

On peut ainsi imaginer des volumes dans lesquels les incantations sont organisées en fonction de leur cadre spatio-temporel; des objets magiques qu'on y emploie; des substances magiques ou des plantes qui y interviennent; des êtres surnaturels qui y sont mentionnés, voire convoqués etc. On distinguerait ainsi entre les incantations pratiquées pendant le jour, s'opposant à celle pratiquées pendant la nuit; entre les incantations dans lesquelles on se sert de l'eau ou du feu, du vin, du miel ou des excréments, oeufs pourris etc., d'instruments superlatifs (la plume de paon ou de vautour, le brin de basilic) ou banalement agressifs (le couteau, les aiguilles), de plantes nobles (le basilic) ou "basses" (les orties) etc.

La base de données RLCD permet de choisir en tant qu'unité de base de la présentation du corpus non pas le scénario (pour lequel nous avons opté dans Desire Machines), mais d'autres éléments. On pourrait, en effet, choisir en tant qu'unité de base les super-scénarios que nous avons mentionnné ci-dessus ou bien des structures incantatoires partielles plus réduites. On pourrait aussi imaginer de publier des corpus limités aux techniques (afin de se concentrer sur l'étude typologique des actions physiques ayant une force magique spécialisée dans une culture donnée). Ou bien on pourrait se limiter à la publication des formules, en les présentant selon leur position dans le scénario:

Formules uniques

Formules occupant la position initiale

Formules occupant la position 2

Formules occupant la position 3

Formules occupant la position finale dans le scénario.

On pourrait, de même, imaginer de publier uniquement les formules finales d'un corpus d'incantations, afin de mettre en évidence les modalités par lesquelles le passage de l'interaction magique à la vie quotidienne est préparé textuellement.

Le développement de bases de données qui instrumentent des projets d'impression pourrait aboutir à une versatilité accrue de la publication électronique des études linguistiques, anthropolinguistiques, sémiologiques. Un livre sur les incantations amoureuses roumaines pourrait, par exemple, être communiqué aux lecteurs/chercheurs dans le format qu'ils préfèrent (à partir d'un menu à la carte proposé par l'éditeur):

Mise à part la diversité qu'elle asssure dans le travail d'impression des matériaux qu'elle contient, la base de données RLCD peut servir méthodologiquement, en aidant à développer des bases de données pour d'autres types de textes vivants non-autonomes à articulation complexe qui ressemblent aux scénarios incantatoires, tels que les pièces de théâtre, les scripts filmiques, les directions d'emploi pour l'utilisation de nouveaux produits techniques, les prescriptions médicales, les recettes de cuisine, les protocoles cérémoniels (de mariage, d'enterrement etc.) ou les règles constitutives de jeux divers.

Pour ce qui est des manières dans lesquelles la base de données facilite l'étude et la traduction de son corpus d'incantations, je mentionnerai ici quelques applications se reliant au développement des documents électroniques dérivés et au scannage.

La base de données RLCD nous permet d'arriver facilement à une perspective d'ensemble sur la façon dont le corpus étudié se relie à l'espace géographique, historique, administratif et social de son pays d'origine. Des fichiers dérivés par scannage tels que CHPLACES (Lieux d'enquête), CHCOLLECT (de l'anglais Collectors "enquêteurs") et CHINFORM (de l'anglais Informants "témoins"), qui émanent des dossiers de scénario présentés ci-dessus nous permettent de savoir que, dans son état actuel, la base de données RLCD représente:

a. toutes les provinces historiques de la Roumanie (Banat, Bessarabie, Bucovine, Dobroudja, Moldavie, Munténie, Olténie et Transylvanie), 44 de ses départements (judeţe) et 129 parmi ses localités;

b. l'expertise spécialisée de 44 témoins (44 femmes et 1 homme) dont l'âge varie entre 20 et 95 ans, avec une dominance nette des témoins de plus de 60 ans (voir Figure 3).

Âge Nombre de témoins
20-29 ans  2
30-39 ans  1
40-49 ans  4
50-59 ans  5
60-69 ans 14
70-79 ans  3
80-89 ans  -
90-99 ans  1
non précisé 14
TOTAL 44

Figure 3: Les témoins de la RLCD

La prédominance des témoins de plus de 60 ans s'explique par l'une des conditions préparatoires essentielles de la performance d'une incantation amoureuse au profit de quelqu'un d'autre, qui consiste en ce que l'incantatrice ne doit pas être sexuellement active. On croit en effet, qu'une femme mariée:

À côté de l'enracinement des documents textuels dans leur culture, espace géographique et société de provenance, des documents auxiliaires peuvent assurer leur traduction conséquente et précise dans une autre langue (s'associant à une culture, un espace géographique et une société différents). Nous avons développé, à cet effet, dans le cadre d'un fichier auxiliaire intitulé CHLEXIC(on), un glossaire spécial roumain – anglais permettant de:

Développements possibles

En 1988 on a effectué un test de supplémentation de la base de données RLCD avec des incantations provenant d'autres cultures. On a préparé 20 sorts français31 en vue de l'inclusion dans la base de données (qui deviendrait, au moment de leur inclusion, une base de données consacrée à la magie amoureuse (LCD32). Un fait qui est apparu dès le départ est que, de par leur état de désintégration avancée, les scénario amoureux français consistaient, beaucoup plus souvent que les scénarios roumains, en une technique uniquement. Si cette opposition se confirme, on pourrait introduire l'opposition entre corpus incantatoire normal (qui joint, dans les performances, des formules et des techniques incantatoires) et un corpus incantatoire déverbalisé (qui n'atteste plus, ou presque plus, de formules et dont les rares formules qui apparaissent consistent souvent en simples énoncés non-versifiés). Il n'est pas clair si nous pourrions également rencontrer un corpus incantatoire dégestualisé (dans lequel la magie amoureuse opère presque uniquement à partir de formules).

Les étapes à considérer sont les suivantes:



Ouvrages Cités

Bibesco, Princesse. Isvor le pays des saules I-II. Paris: Plon, 1940.

Bârlea, Ion. Cântece poporane din Maramureş. Descântece, vrăji, farmece şi desfaceri. Bucureşti: Casa Școalelor, 1924.

Brennan, Elaine. "Using the computer to right the canon: the Brown Women Writers Project", Brown Online. A journal of computing in academic settings 2 (May 1989), p. 7-13.

Candrea, I.-Aurel. Folklorul medical român comparat. Privire generală. Medicina magică. Bucureşti: Casa Școalelor, 1944.

Cristescu, Ștefania. "Cum descântă 'de întors' Ana Dănilă din satul Șanţ", Sociologie românească, I (1936), nr. 5, p. 36-39.

_______. Descântece din Cornova-Basarabia. Volume édité par Sanda Golopentia. Providence, R.I., 1984.

_______. Descântatul în Cornova-Basarabia. Volume édité par Sanda Golopentia. Bucureşti: Paideia, 2003.

Favret-Saada, Jeanne. Les mots, la mort, les sorts. Paris: Gallimard, 1977.

Favret-Saada, Jeanne & Josée Contreras. Corps pour corps. Enquête sur la sorcellerie dans le Bocage. Paris: Gallimard, 1981.

Fochi, Adrian. Datini şi eresuri populare de la sfârşitul secolului al XIX-lea. Răspunsurile la chestionarele lui Nicolae Densuşianu. Bucureşti: Minerva, 1976.

Golopentia, Sanda. "Love Charms in Cornova, Bassarabia", in Donald L. Dyer (éditeur), Studies in Moldovan: The History, Culture and Contemporary Politics of the People of Moldova, Boulder, Co.: East European Monographs, Columbia University Press, 1996, p. 145-205.

_______. "Mapping a Network of Semiotic Systems: The Romanian Love Charm Database", Semiotica 114-1/2 (1997), p. 41-66.

_______. Desire Machines. A Romanian Love Charms Database. Bucharest: The Publishing House of the Romanian Cultural Foundation, 1998.

_______. "Descântatul de dragoste în satul Cornova (Basarabia)", in Vasile Șoimaru (éditeur), Cornova, Chişinău (R. Moldova), 2000, p. 461-500.

_______. "Towards a Pragmatic Study of Magic Poetry", in Marc Dominicy, Approches de la poésie, , 2003, p. ---.

Gorovei, Artur. Descântecele românilor. Studiu de folklor. Academia Română — "Din viaţa poporului român", vol. XL. Bucureşti: Regia M.O., Imprimeria Naţională, 1931.

Holban, Marie (éditrice et traductrice). Incantations. Chants de vie et de mort. Bucarest: M.O., Imprimerie Nationale, 1937.

Ionaşcu, N.I. & M. St. Mândreanu. Poezii populare şi descântece. Alexandria, 1897.

Ionescu, Daniil & Alexandru I. Daniil. Culegere de descântece din judeţul Romanaţi, I-II. Bucureşti, 1907.

Lupaşcu, Dimitrie. Medicina babelor. Adunare de descÂntece, reţete de doftorii şi vrăjitorii băbeşti. Bucureşti: Göbl, 1890.

Malinowski, Bronislaw. Coral Gardens and Their Magic. New York: Dover Publications, 1978.

_______. The Sexual Life of Savages in the North-Western Melanesia. With a new introduction by Annette B. Weiner. Boston: Beacon Press, 1987.

Marian, S. Fl. Descântece poporane române. Suceava: Cernăuţi: Tipografia R. Eckhard, 1886.

_______. Vrăji, farmece şi desfaceri, Analele Academiei Române, seria II, tom. XV. Bucureşti: Göbl, 1893.

Muşlea, Ion, Ovidiu Bârlea. Tipologia folklorului din răspunsurile la chestionarele lui B.P. Hasdeu. Bucureşti: Minerva, 1970.

Niculiţă-Voronca, Elena. Datinele şi crediţele poporului român adunate şi aşezate în ordine mitologică, I (p. 1-856), II (p. 859-1295). Mihalcea lângă Cernăuţi: Editura proprie, 1903.

Pop, Dumitru. Folclor din zona Codrului. Baia Mare: Centrul de îndrumare a creaţiei populare şi a miscării artistice de masă al judeţului Maramureş, 1978.

Renear, Allen, Elli Mylonas, David Durand. "Refining Our Notion of What Text Really Is: The Problem of Overlapping Hierarchies", in Nancy Ide & Susan Hockey (éditrices). Research in Humanities Computing. Oxford University Press.

Șerb, Ioan (éditeur). Flori alese din poezia populară, II. Poezia obiceiurilor tradiţionale. Bucureşti: Editura pentru literatură, 1967.

Sperberg-McQueen, C. Michael & Lou Burnard (éditeurs). Guidelines for the Encoding and Interchange of Machine-Readable Texts. Chicago & Oxford: TEI, 1990, 1993, 1994.

Tocilescu, Grigore G. Materialuri folkloristice, culese şi publicate sub auspiciile Ministerului Cultelor şi învăţământului public, prin îngrijirea lui Gr.G.T., I-II. Bucureşti, 1901.

Vasiliu, Al. Descântece din Moldova. Extras din Grai şi suflet, VI, Bucureşti: SOCEC, 1934.



Notes

1 Cf., par exemple, Candrea (1944).

2 Dans le sens de Malinowski (1978). Voir aussi Malinowski (1987).

3 Nous synthétisons des croyances que les lecteurs intéressés pourront retrouver dans Marian (1886), Gorovei (1931), Muşlea & Bârlea (1970) et Fochi (1976) entre beaucoup d'autres.

4 Les dernières cinq désignations correspondent aux personnages mythologiques qu'on appelle en roumain iele ("Elles").

5 Holban (1937) les rapproche des cortèges qui apparaissent dans les Triomphes de la Prérenaissance.

6 Cette situation se retrouve dans les corpus incantatoires de la plupart des cultures européennes. Une exception partielle est représentée par Favret-Saada & Contreras (1981), où la participation et l'implication des deux spécialistes dans les sessions magiques atteint des niveaux exceptionnels.

7 Ceci s'applique à des collections aussi différentes que celles de Bârlea (1924), Candrea (1944), Cristescu (1984), Gorovei (1931), Holban (1937), Ionaşcu & Mândreanu (1897), Ionescu & Daniil (1907), Lupaşcu (1890), Marian (1886, 1893), Niculiţă-Voronca (1903), Pop (1978), Răutu (1998), Șerb (1967), Teodorescu (1885), Tocilescu (1901) et Vasiliu (1934) ou, dans d'autres espaces culturels, Malinowski (1978) et Favret-Saada (1977).

8 Il y a en effet deux façons de concevoir une action magique: (a) la première, par où le pouvoir et l'efficacité de l'incantation sont attribués au charisme de l'agent, et (b) la seconde, où ils s'expliqent par une qualité intrinsèque des mots qui y sont prononcés et des gestes qui y sont accomplis.

9 Il s'agit pour l'essentiel d'occurences incantatoires filmées par Radu Răutu.

10 Le père Zamă faisait en effet appel aux incantatrices, tout en essayant de moderniser la vie de ses paroissiens.

11 Ceci nous amènerait, bien entendu, à modifier le nom actuel de la base de données RLCD en "Love Charms Database" (LCD/ Base de données Incantations amoureuses).

12 L'ordre dans l'énumération reflète le degré d'implication des spécialistes respectifs dans le projet RLCD.

13 Les numéros de scénario se réfèrent, dans notre présentation, à leur position dans le cadre du volume imprimé. Dans la base de données, chaque nom de scénario (avec les noms des formules et des techniques qui le composent) contient un numéro d'ordre qui correspond au moment de sa mise en ligne. Pour simplifier l'exposé, nous faisons abstraction de ce double emploi de la numérotation (en surface et en profondeur) dans ce qui suit et nous nous référons aux noms des fichiers en faisant appel à leur numéro d'ordre dans le volume Desire Machines.

14 Cf. Cristescu (1936).

15 Voir le point 4 ci-dessus.

16 Voir le point 5 ci-dessous.

17 Pour SGML, voir Information Processing — Text and Office Systems — Standard Generalized Markup Language(SGML), publié par The International Organization for Standardization (ISO) en 1986. Une application spécialisée de SGML à la recherche portant sur des textes "humanistes" a été développée par une équipe internationale, sous le nom de Text Encoding Initiative (TEI). TEI est sponsorisé par les organismes Association for Computing in the Humanities, Association of Literary and Linguistic Computing et Association for Computational Linguistics et financé par le National Endowment for the Humanities des États-Unis. Son comité d'organisation regroupe des représentants des grandes archives textuelles et des grandes bibliothèques, des associations industrielles et des sociétés savantes de beaucoup de pays (cf. C. Michael Sperberg-McQueen & Lou Burnard, eds. Guidelines for the Encoding and Interchange of Machine-Readable Texts, Chicago and Oxford: TEI, 1990, 1993, 1994). Pour un exemple de l'utilisation de ces directives dans la transcription descriptive des textes littéraires, cf. Brennan (1989) et Renear (1994). Des questions théoriques et méthodologiques importantes concernant le codage et la manipulation des textes littéraires sont abordées dans Renear – Mylonas – Durand (sous presse). Malgré le fait que la base de données RLCD a bénéficié de ces développements par la participation de son auteur au Brown's Computing in the Humanities User Group (qui incluait beaucoup des membres de TEI), les TEI Guidelines n'étant pas prêts à l'époque, ils n'ont pas été mis à profit dans son élaboration.

18 On obtient ainsi une ligne blanche.

19 Elle suit de près la traduction d'une variante de cette formule par Holban (1937), p. 130.

20 Il s'agit du scénario 19, publié dans notre volume Desire Machines, p. 83. L'incantation a été recueillie par Șt. Cristescu (1984), p. 45. La traduction en anglais a été réalisée par S. Golopentia et Will Robins.

21 Voir Princesse Bibesco (1940).

22 Le choix du nom du fruit et non pas de celui, non-marqué, de l'arbre (griottier fleuri) s'explique par le fait que vişină/vişin (griotte/griottier), appartient à la série pară/păr (poire/poirier), cireaşă/cireş (cerise/cerisier) etc., où le nom du fruit est féminin et celui de l'arbre fruitier masculin et que, dans l'économie de la formule, la griotte fleurie (au féminin) sert de modèle à la bénéficiaire de l'incantation (plus exactement au désir de celle-ci) et, peut-être (car nous n'avons pas rencontré la mention d'un tel cas), le griottier sert de modèle à un bénéficiaire masculin.

23 Pour des croyances et rituels concernant le coucou, voir Muşlea & Bârlea (1970), p. 298-299.

24 À partir de cette étiquette, on peut facilement dériver la liste des témoins par une opération de scannage dans RLCD.

25 Ceci s'applique surtout aux localités de la Bessarabie et de la Bucovine, qui ont été annexées par l'Union Soviétique pendant la deuxième guerre mondiale.

26 "L'eau rejointe" (apa întâlnită) est l'eau qu'on prend à l'endroit où se joignent deux ruisseaux (voir Holban, 1937, p. 34). Il est intéressant de penser, dans ce contexte, au symbolisme amoureux du fleuve qui se verse dans la mer que nous rencontrons si souvent dans l'oeuvre de Marguerite Duras.

27 L'eau "non commencée" (apa neîncepută) est l'eau qu'on puise à la fontaine ou que l'on prend à la rivière, avant le lever du soleil, et que l'on apporte à la maison en secret, dans sa bouche (ou, au moins, sans rencontrer une autre personne et, donc, sans parler). Cette eau, qu'on appelle aussi "eau incantée", "eau muette", "eau du dimanche", mélangée avec d'autres ingrédients magiques, entrera dans la composition de "l'eau d'amour" (apa de dragoste) ou de "l'eau enchantée" (apa descântată).

28 Le "couteau couronné" (cuţit cununat) est le couteau porté sur soi par les époux durant la cérémonie religieuse du mariage, qui comporte un "couronnement" avec ce qu'on appelle pirostrii.

29 C'est-à-dire, moudre le maïs en tenant les mains et l'ustensile à moudre derrière le dos.

30 Le mot roumain cot "coude" renvoie aussi à une unité de mesure pour la longueur, égale à 0,637 m (en Moldavie) et 0,664 m (en Munténie) ou, plus vaguement, à la distance entre le coude et le poignet.

31 Sanda Golopentia et Rhoya Ghavami.

32 Voir la note 11 ci-dessus.

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